SAUMUR A LA FIN DU XVème SIECLE
La Tour du Bourg étant datée du XVème siècle, il peut être intéressant de dessiner à grands traits la ville de Saumur à la fin de ce siècle.
La prise en main par Louis XI
Parce qu’elle était point stratégique sur le franchissement de la Loire, Saumur aurait pu être victime de la guerre de cent ans. Il n’en a rien été.
Erigée en duché en 1360, l’Anjou est cédée en apanage à Louis Ier, frère du roi de France. Se succéderont à la tête de ce duché ses descendants : Louis II (1384-1417), Louis III (1417-1434) et celui qu’on appelle le roi René (1434-1480).
Le roi René décède sans descendance directe. L’Anjou est alors réunie définitivement à la couronne de France. Mais l’évènement n’a aucune incidence sur Saumur : le duc d’Anjou, depuis neuf ans, préférait ses terres provençales, Louis XI avait mis progressivement la main sur l’Anjou et Saumur s’était dotée d’une authentique autorité municipale.
Un fier château et un mur d’enceinte
Planté fièrement sur son éperon rocheux entre Loire et Thouet, le château a subi quelques reprises avant que René quitte ses terres ligériennes : la tour qu’on appelle la tour Neuve a été restaurée ; on a remplacé le plomb des couvertures par l’ardoise, moins chère ; d’une manière générale, il semble qu’on ait recherché d’abord la symétrie, l’harmonie et l’élégance, tout en demeurant dans la sobriété.
Le château est flanqué d’une enceinte particulière, le boile, qui épouse le contour du roide coteau sur lequel la forteresse est édifiée. Dans son périmètre et malgré les pentes abruptes, on remarque de nombreuses maisons d’habitation mais aussi l’église de Saint-Florent-du-Château.
Pour protéger la ville qui s’est développée au pied du château, plusieurs enceintes ont été édifiées au fil du temps mais, au début du XVème siècle, un chantier énorme a été lancé pour prendre en compte l’élargissement des zones d’activités, garantir une protection efficace des habitants et assurer un contrôle étroit des ponts, dispositif stratégique essentiel.
La muraille crénelée hérissée par la ville compte une vingtaine de tours et au moins cinq portes. Au nord-est, elle est accrochée au boile, là où celui-ci garnit la falaise qui accueille le château. La courtine conduit à la porte du Fenet, qui permet d’accéder au faubourg du même nom, puis file en droite ligne vers la tour Papegaut, sentinelle du port Saint Michel. A cet endroit, le mur est doublé par une douve. A partir de la tour Papegaut, l’enceinte, à angle droit, longe la Loire vers l’ouest. Elle flanque le couvent des Cordeliers, qui occupe désormais ce qui fut la commanderie des Templiers. On arrive vite à la porte de la Tonnelle (encore appelée porte Hardouin), qui contrôle le débouché des ponts et dont on dit que sa partie supérieure a été longtemps une prison. Un peu plus à l’ouest, c’est un bastion qui surgit, trapu et redoutable. Vient ensuite la tour Cailleteau, du nom d’une vieille famille saumuroise, et la muraille repart vers le sud en longeant une boire de la Loire, douve naturelle qui imprime aux fortifications armées de créneaux et de mâchicoulis un tracé irrégulier. La porte de la Bilange, ouvrant sur le faubourg Saint Nicolas, est massive et ouvragée. Plusieurs tours se succèdent encore avant qu’on tombe sur la porte Neuve, la plus récente. En limite sud-ouest, la Tour Grénetière dresse sa haute silhouette (quarante mètres !). L’enceinte fait ici un angle droit jusqu’à la tour du Bourg, placée également en saillie. Nouvelle inflexion et l’enceinte rejoint la porte du Bourg, extrémité sud de la rue pavée qui, du nord au sud, permet de traverser la ville et d’accéder, par le faubourg de Nantilly, aux plaines du Poitou. On est alors à quelques mètres du boile, auquel vient s’agripper naturellement l’enceinte municipale.
On remarque dans la tour Grénetière un niveau de basse-fosse, un rez-de-chaussée accessible depuis l’intérieur de l’enceinte, deux niveaux intermédiaires et une salle haute voûtée d’ogives. Dans la tour du Bourg, le rez-de-chaussée est accessible uniquement depuis l’intérieur de l’enceinte, tandis que le chemin de ronde la traverse au 1er étage. Un escalier à vis, légèrement saillant, conduit du 1er étage au sommet.
La traversée de la Loire
Si l’on est place Saint Pierre et que l’on désire traverser la Loire, on emprunte d’abord la rue de la Tonnelle, on passe sous la porte du même nom puis l’on franchit un premier pont (pont Foulon) qui mène à l’île de la Saunerie, où est bâti un grenier à sel. Se succèdent ensuite cinq ponts (pont de la Croix de Pardieu, arche du Moulin Pendu, Les Grandes Arches, pont de la Boire Torse, pont de la Bastille) reliant quatre îles (île d’Offard, île Censier, île des Trois Maisons, île Neuve) et permettant d’accéder au faubourg de la Croix Verte et à la rive droite du fleuve. Le duc d’Anjou a fait bâtir une bastille sur le dernier pont, redoutable dispositif doté de deux ponts-levis.
Les arches des ponts sont en pierre et la largeur de la voie charretière est de 9 mètres. Selon un inventaire, il y aurait 52 piliers soutenant 42 arches. Des moulins « pendus » sont attachés à certaines arches : ce sont les moines de Saint Florent qui les exploitent, suscitant toutes les convoitises.
Les faubourgs
Si la ville paraît étouffer dans son mur d’enceinte, les faubourgs gagnent chaque année un peu plus en prospérité : Nantilly, avec le siège de la paroisse, l’Hôtel Dieu et une maladrerie à proximité du pont Fouchard franchissant le Thouet ; Saint Nicolas, qui est né du succès de la place de la Bilange ; le Fenet et ses activités portuaires ; la Croix-verte, au-delà des ponts.
L’autorité
Une garnison permanente est casernée au château. Il y a peu, on pouvait croiser son capitaine, Guy de Laval, sieur de Loué, ou son lieutenant, Baudouin de Cerizay, ou le concierge Jean Bourgeois. Jusqu’en 1480, la Bastille des ponts était également dirigée par un capitaine : le dernier en date s’appelait Pierre Charlot. Mais en intégrant l’Anjou au domaine royal, Louis XI, expéditif et fin politique, a supprimé ces postes. Désormais, un homme du roi règne sur la ville, Brandelys de Champaigne.
Depuis la prise en main de la province par Louis XI, les fidèles du monarque ont remplacé les hommes mis en place par le duc. Par exemple, Abel Cailleteau, juge de la prévôté et avocat fiscal, a été remplacé par François Bourneau, et la famille de drapiers Lebreton accumule les offices.
Mais la méfiance de Louis XI n’a pas été jusqu’à l’empêcher de consentir certaines franchises aux habitants de Saumur, qui peuvent élire douze d’entre eux pour administrer la ville, à charge d’entretenir le mur d’enceinte, si nécessaire au pouvoir royal.
Une ville dynamique
La ville de Saumur compte un peu plus de 2.000 habitants mais on pourrait croire à une population plus dense tant les rues sont encombrées et animées de l’aube au crépuscule.
Sans avoir l’importance de Tours ou d’Angers, Saumur est faite pour le commerce. Elle est au croisement de voies terrestres et contrôle un territoire à la confluence de la Loire, de la Vienne, du Thouet et de la Dive. Sur la rive droite du grand fleuve, la chaussée est désormais à l’abri sur une levée de terre. On a soigné les retenues d’eau du Thouet. On a réaménagé les rives. Pour les transports fluviaux les plus importants, on use de chalands à fond plat ou de sentines, et l’une et l’autre sont des embarcations toujours faciles à manœuvrer. Saumur dispose, sur ses rives de Loire ou du Thouet, des quais, ports et installations nécessaires et, chaque jour, au pied des murailles qui « éclairent » la Loire, les mariniers et portefaix se mêlent aux poissonniers dans un maelstrom coloré et bruyant. Le vin s’exporte vers la Touraine ou vers Nantes, comme la viande salée, les peaux, l’huile de noix, le bois ou le tuffeau. De Guérande et de ses marais, Saumur reçoit le sel, de Nantes ou de Tours les produits manufacturés à l’étranger ou dans le nord du royaume.
Mais la ville est aussi centre de production : vins, produits de la pêche, bétail, textiles. Les guerres qui ont ensanglanté la France depuis deux siècles, si elles ont affecté ses activités, ne l’ont pas mise à terre. Les épidémies, notamment la peste, ne l’ont pas non plus abattue. Les désastres du climat, avec des ponts endommagés par les glaces à plusieurs reprises, ou les inondations jetant partout la désolation, n’ont pas vaincu son énergie. Saumur rebondit toujours sur la catastrophe.
Le vin est la production principale. D’immenses progrès ont été faits pour en améliorer la qualité. On boit un peu moins de « clairet », le vin blanc de base, et on fait la promotion de vins mieux élaborés.
Viennent ensuite l’abattage et le commerce de la viande. Les bouchers sont regroupés dans ce qu’on appelle la grande boucherie, place Saint Pierre. Ils font partie des notables de la ville et, comme par exemple les membres respectés de la famille des Payens, se mêlent aux hommes de loi pour concourir à des adjudications de fermes.
Les poissonniers sont moins bien organisés mais leurs activités se développent.
On produit à Saumur toiles et draps destinés à l’usage courant ou à la confection de vêtement ordinaires. Le lin vient de Montreuil Bellay, le chanvre de Longué ou d’Allonnes. On foule aussi la laine des moutons. Mais seuls les besoins locaux sont satisfaits par les tisserands. En réalité, ce sont les drapiers, importateurs de produits venant d’Angleterre, de Flandres ou de Normandie qui se taillent la part du lion. Avec les bouchers, ils nourrissent toutes les ambitions et investissent les offices.
Place de la Bilange, qui porterait ce nom parce qu’il y avait autrefois une maison de la balance, deux foires se tiennent chaque année, qui attirent une foule nombreuse.
Pendant quelques années, Charles VII, pour lui reconnaître symboliquement son importance commerciale, consentira à la ville le droit de battre monnaie.
On dit que les hommes de loi sont au plus haut degré de la société saumuroise et on cite les Bremault, les Nepveu, les Cailleteau, les Michelet, les Bourneau, les Ronsart. Ils auraient capté les fermes et les offices. Ils auraient fait alliance avec les plus riches marchands. Mais les rivalités sont nombreuses et Louis XI, on l’a vu, entend d’abord qu’on le serve.
La puissance de l’abbaye de Saint-Florent
L’abbé de Saint-Florent, qui est le principal seigneur ecclésiastique et, il faut bien le dire, un acteur économique incontournable, contrôle toutes les églises paroissiales : le prieuré Saint Florent, avec Varrains et Saint Hilaire, le prieuré Notre Dame de Nantilly, avec Saint Pierre et Saint Nicolas des Bilanges, le prieuré Saint Nicolas d’Offard, le prieuré Saint Vincent, diverses chapelles.
On a découvert une petite statue de la vierge dans le quartier du Fenet, vers 1360, et, depuis lors, des pèlerins débarquent régulièrement au port.
La vie religieuse est intense. La générosité du duc, du roi, des chrétiens vis-à-vis des institutions ecclésiastiques est considérable.
Depuis Jean du Bellay, les abbés de Saint Florent n’ont eu de cesse de développer la richesse et l’influence de l’abbaye. L’abbatiat de Louis du Bellay sera certainement à retenir comme le plus brillant.
Cette place de l’abbaye de Saint Florent, qui fait d’elle le banquier des autorités ecclésiastiques, militaires ou civiles, ne va pas sans créer des jalousies ou conflits. Les rapports entre l’abbé de Saint Florent et l’évêque d’Angers sont exécrables.
Soumise au roi Louis XI, tributaire de l’abbé de Saint Florent, agitée par le frottement des ambitions, Saumur, après avoir évité les destructions des guerres, parvient à l’aube du XVIème siècle à tirer son épingle du jeu.
Gildard GUILLAUME
Président du Fonds de la Tour du Bourg
23 mars 2015
Sources et bibliographie sommaire
Fonds de l’abbaye Saint Florent de Saumur (archives départementales de Maine et Loire)
Fonds de la Chambre des comptes d’Anjou (archives nationales)
Cron Eric et Bureau Arnaud, Saumur - Urbanisme architecture et société, Cahiers du patrimoine 93, Editions 303 - arts, recherches, créations, 2010
Landais Hubert (sous la direction de), Histoire de Saumur, Editions Privat, 1997
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