PRESENTATION HISTORIQUE DE LA TOUR DU BOURG
1) Une tour d'artillerie
La vieille cité de Saumur est entourée par une muraille aux alentours de 1364, une enceinte longue de plus de 1 100 mètres, renforcée par des tours, en général de plan semi-circulaire. Cette enceinte paraît insuffisante avec l'apparition de l'artillerie. Dans le dernier tiers du XVe siècle, après des travaux permanents, les bourgeois de Saumur renforcent les défenses de la ville close ; ils ajoutent trois tours d'angle, de forme ronde, aux murs renforcés à la base et en avancée sur les fossés : la tour du Papegault, la tour Cailleteau et l'impressionnante tour Grenetière.
Tout le flanc sud est repris et l'enceinte primitive remplacée. Sur le plan ci-dessous, dressé vers 1750 et orienté vers le sud, on reconnaît à l'extrémité gauche la porte du Bourg [ Notre-Dame ], puis, en forte avancée sur la muraille, la tour du Bourg, ensuite, une grosse tour oblongue ajoutée au XVIe siècle ( aujourd'hui crèche Chauvet ) et enfin la tour Grenetière.
Le plan défensif est parfaitement cohérent : en face débouchent les deux seules voies (les actuelles rues Duruy et Pascal d'une part, et l'ensemble des rues de la Chouetterie et de Poitiers) qui, par les ponts Fouchard, mènent en Poitou. La cité fortifiée de Saumur, « porte du Midi », contrôle l'axe vital, qui, par des ponts étroitement surveillés, débouche sur le Sud-Ouest, longtemps disputé aux Anglais, puis bastion protestant. Quand il prend possession de la place, Duplessis-Mornay y trouve trois gros canons de calibre royal et 24 couleuvrines. Dans ce dispositif, la tour Grenetière peut battre le débouché de la place de l'Arche-Dorée et la route agreste contournant le rempart. Sa petite sœur, la tour du Bourg lui tourne le dos, elle est un ouvrage de flanquement de la porte qui lui a donné son nom ; par une archère canonnière semblable à celle de la tour du Papegault, elle peut battre les fossés encore en eau, jusqu'à une ceinture de boulevards, plus tard plantés d'arbres.
Cette partie de la ville n'a jamais été assiégée et les canons n'ont jamais tiré. Seulement en période de crise, les hommes de la milice bourgeoise sont convoqués par compagnies de quartier pour effectuer des rondes nocturnes tout le long du rempart. Le parcours est semé d'embûches, car chaque franchissement de tour s'opère par des escaliers. Seuls les jeunes mariés sont dispensés de cette corvée.
2) Une construction de la fin du XVe siècle
Aucun document ne nous renseigne sur l'ingénieur des fortifications qui a dirigé ces travaux. La tour était couronnée par des mâchicoulis à décor tréflé et par des créneaux, comme l'est sa grande sœur la tour Grenetière. D'après un dessin de Lambert Doomer, cette dernière était surmontée par un petit toit en poivrière, comme la plupart des tours dominant la Loire. Mais la porte et la tour du Bourg semblent recouvertes par une simple terrasse.
Comme à la tour Grenetière, la clef de voûte de l'étage supérieur porte un blason aux trois fleurs de lys, signe de possession royale. La voici dessinée par René Baldet.
Nous disposons de quelques repères pour la datation de l'édifice : en 1466, Louis XI ordonne la reprise des fortifications de Saumur. Selon l'adage : « Saumur a construit ses murailles avec le vin de ses coteaux », ce sont des taxes spéciales sur les vins qui paient les travaux ; sous les noms de cloison et d'appétissement, elles frappent les vins vendus au détail dans la ville d'un montant du dixième sur chaque pinte ; les tonneaux passant sous les ponts de Saumur sont également taxés, mais plus faiblement, à raison de dix deniers sur chaque pipe.
3) Une annexe du temple
Sous la période protestante, en 1592, Charlotte Arbaleste, l'épouse de Duplessis-Mornay, fait construire un temple qui est accolé à la muraille tout près de la tour du Bourg. Cette tour fait partie de l'enclos du lieu de culte et Duplessis-Mornay s'en réserve l'usage sa vie durant. On ne sait pas ce qu'il en fait, mais l'enceinte est un élément de sa sécurité personnelle en ce siècle d'assassins. Quand le gouverneur se rend au culte, il descend du château par le chemin de ronde, accompagné par ses gardes du corps, puis il entre dans le temple par une petite porte ouvrant sur la muraille. Cet empiétement de l'édifice sur le rempart est un des motifs invoqués en 1685 pour la destruction du temple.
4) La prison de femmes
En 1664, l'assemblée des échevins est avisée par lettre du roi que les fermiers des Gabelles pourront disposer de la tour Grenetière pour y enfermer les faux-sauniers. Bien que la tour du Bourg ne soit pas citée, il apparaît qu'elle devient alors le quartier des femmes du vaste ensemble carcéral ainsi mis en place.
A partir de l'année 1742, date à laquelle est créée la Commission de Saumur chargée de réprimer de façon spectaculaire les délits les plus graves en matière de contrebande du sel, de pauvres hères sont expédiés en masse vers la prison de la Tour, pour y être jugés par la cour des Aides et souvent condamnés aux galères. Parmi eux, un certain nombre de femmes, qui ne sont jamais condamnées aux galères, mais à des amendes, au fouet ou au bannissement de leur province. Un registre cite même deux jeunes filles de 15 ans. Par exemple, une certaine Marie Accary, de la paroisse de Combrée, fileuse âgée de 35 ans, a été prise en attroupement avec cinq hommes, chargés chacun d'un sac de sel qu'ils étaient allés chercher en Bretagne. Elle voulait vendre son sel pour nourrir son mari malade, décédé depuis, et ses enfants. Capturée par les gardes du village de la Renardière, elle est transférée à la tour de Saumur et condamnée à deux ans de bannissement.
La vie dans la prison de la tour du Bourg est sûrement rude, mais on ne trouve pas de texte décrivant des conditions matérielles aussi épouvantables qu'à la tour Grenetière. Les femmes disposent d'un préau où elles peuvent s'aérer, un médecin vient visiter les malades et il leur est possible de demander à être jugées promptement.
La Commission de Saumur est abolie le 27 septembre 1789 et les prisonniers sont amnistiés. L'ensemble tour Grenetière, cour des Aides et tour du Bourg devient alors une prison communale. Comme les locaux sont vastes, des détenus de tous ordres et des environs y sont enfermés. A partir de l'été 1793, la tour du Bourg renferme des prisonnières vendéennes. Au recensement des prisons du 9 germinal an II ( 29 mars 1794 ), on compte 109 femmes et enfants. Des maisons du quartier sont réquisitionnées pour faire face à cet afflux de captifs ; les conditions de vie sont néanmoins épouvantables , les femmes en couches se sont pas transférées à l'hôpital. La geôlière de la prison, la veuve Coutard, est elle-même enfermée dans son établissement, en raison de la tenue très approximative de son registre d'écrou. Quand en frimaire an III ( décembre 1794 ), le représentant Bézard fait mettre en liberté les prisonniers politiques, il relâche 53 femmes.
Pendant un temps, des chefs chouans sont enfermés dans cette tour et certains parviennent à s'évader.
De nombreux graffiti couvrent les murs, tel celui-ci daté de 1766 :
D'autres inscriptions, franchement obscènes, sont certainement l'œuvre d'une main masculine.
Dans la réorganisation consulaire, l'ensemble des locaux reçoit le tribunal d'arrondissement et la maison d'arrêt, avec au maximum une quarantaine de prévenus et de condamnés à de courtes peines. Pour les femmes, la concierge assure à elle seule la surveillance. En 1836, la nouvelle prison est achevée, la tour du Bourg cesse ses fonctions carcérales.
L'entretien des locaux était depuis longtemps négligé : en 1827, la partie haute de la tour et la pyramide surmontant l'escalier avaient été détruites pour des motifs de vétusté.
5) L'organisation de la prison
Trois plans de géomètre dressés le 24 floréal an XII, 14 mai 1804, ( Archives nationales, F21/1889 ) permettent de reconstituer l'organisation de la prison de la tour du Bourg. Le premier plan, orienté vers le sud, est établi au niveau du sol :
La tour du Bourg est à gauche. Le préau des « femmes de mauvaise vie, voleuses, etc. » est assez vaste ; un passage creusé dans la muraille le met en communication avec les autres locaux. Son sol est relevé de 80 cm, afin de prévenir les inondations. L'étage inférieur de la tour est porté « cachots ». Un large escalier à deux volées, accolé au rempart et sans doute en pierre, permet d'accéder au niveau supérieur de la tour, au chemin de ronde et au premier étage d'un petit bâtiment carré.
Le second plan est tracé au niveau de la rue. La prison de la tour du Bourg n'a pas d'entrée particulière ; son accès s'opère par un couloir donnant sur la rue du Prèche et par une galerie aménagée sur le rempart. L'étage supérieur de la tour est un dortoir, la pièce carrée est affectée aux femmes de mauvaise vie.
Par un minuscule escalier en vis, aménagé dans l'épaisseur du mur, on peut accéder à un autre préau installé sur la terrasse supérieure. L'organisation des lieux est d'une simplicité radicale.
Historique
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