LA DEFENSE D'ANGERS DANS LE DERNIER QUART DU XVe SIECLE: QUELQUES REMARQUES SUR DES TRAVAUX RÉALISÉS SUR L'ENCEINTE ET SUR LE CHÂTEAU
Auteur : Emmanuel Litoux - archéologue
Publié le :
24/02/2014
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2014
La recherche et l'étude des travaux réalisés dans le dernier quart du XVème siècle sur l'enceinte et le château de la ville d'Angers livrent des informations précieuses sur les problématiques, les procédures et les difficultés auxquelles les autorités royale, municipale et autres ont pu être confrontées en Anjou dans le domaine de la fortification des agglomérations. Elles fournissent donc des éléments de comparaison intéressants pour l'histoire de l'enceinte de Saumur".
Bien que la ville d'Angers ait bénéficié dès le XIIIe siècle de la protection d'une importante enceinte urbaine, en grande partie conservée jusqu'au XVIIIe siècle, son démantèlement presque complet au XIXe explique le faible intérêt qu'elle a suscité de la part des historiens de l'architecture. Cette enceinte a pourtant fait l'objet de travaux importants au cours des siècles pour l'adapter aux progrès de l'armement, dont des riches séries d'archives rendent compte. Ce texte souhaite évoquer au travers de quelques cas précis une période assez courte de l'histoire d'Angers, lorsqu'un effort particulier fut fait à la fin du règne de Louis XI puis sous Charles VIII pour renforcer les capacités défensives de la ville et du château, dans le contexte des tensions croissantes avec la Bretagne.
Louis XI (1461-1483), dans sa lutte pour réduire l'emprise des principautés, va manifester dès le début de son règne son intérêt pour le duché breton qu'il souhaite faire rentrer dans le domaine royal. L'Anjou, détenu en apanage par son oncle René, est en contact avec les marches bretonnes et apparaît comme un territoire stratégique que Louis XI va rapidement chercher à contrôler pour se rapprocher de son objectif. En 1474, prétextant des dispositions testamentaires prises par René et qui lui seraient défavorables, Louis XI fait saisir le duché d'Anjou au mois de juillet. Il nomme immédiatement un nouveau gouverneur - Guillaume Cerisay - et envoie un lieutenant général. L'année suivante, la municipalité qu'il institue en février contribue à renforcer encore son emprise sur l'Anjou. Par lettres du 24 mai 1476, René « consentit à ce que le garde et capitaine du château fût dorénavant nommé par le roi de France, qu'il ne prêtât serment qu'à celui-ci et qu'il ne reçût ses ordres que « du vouloir et commandement exprès à lui fait de bouche par le roi ». L'apparition d'un « commis au paiement de l'avitaillement et des fortifications du château d'Angers » en 1474-1475 laisse penser que des travaux importants sont engagés ou envisagés dans ces mêmes années. Le contexte politique tendu avec la Bretagne incite Louis XI à faire d'Angers une base arrière pour ses campagnes militaires, et à mettre à profit le potentiel défensif du château pour y établir un arsenal. Les conflits armés des années 1484-85 et 1487-88 tournent à l'avantage de la France et trouveront leur épilogue dans le mariage célébré entre Charles VIII et Anne de Bretagne en 1491 à Langeais.
L'enceinte urbaine
Depuis les années 1370, les travaux de l'enceinte sont financés à l'aide de l'impôt dit « de la Cloison » et sont gérés par une structure administrative dont les comptes, qui sont conservés aux Archives municipales d'Angers, courent jusqu'au XVIIIe siècle. L'étude fine et complète de cette masse documentaire constitue un vaste chantier auquel personne ne s'est vraiment attaqué jusqu'à présent. Il est difficile de dire si la gestion des sommes collectées donnait entièrement satisfaction. En 1477, Louis XI interdit que les recettes de la Cloison d'Angers — taxe perçue pour l'entretien des défenses de la ville — soient employées à autre chose que l'ouvrage des fossés. Il faut dire que la part des dépenses réellement affectées aux travaux de fortification représente souvent moins du tiers des sommes perçues !
Pour une raison que nous ignorons, la municipalité décide en 1478 de faire réaliser des travaux à caractère défensif sans passer par l'administration de la Cloison. Cette année là, Jean Perier, marchand d'Angers, est mandaté par la municipalité pour engager la réparation d'une partie des fossés et de l'enceinte urbaine. Sa comptabilité, qui court sur 6 mois rend compte de l'organisation matérielle du chantier, des corps de métier engagés, du nombre d'hommes mobilisés et des coûts engendrés par ces importants travaux (1671 livres). Jean Perier tient sa mission des « maire, eschevins et conseillers de la ville d'Angiers ».Les travaux portent principalement sur l'élargissement des fossés au sud de la ville, près de la porte Saint-Aubin, et sur le front nord-ouest de l'enceinte, entre les portes Saint-Nicolas et Lyonnaise. Des marchés passés avec des carriers et des maçons précisent l'emplacement et l'ampleur des travaux à réaliser, les délais, le prix total ainsi que le nombre minimum d'ouvriers devant être présents. D'autre travaux sont gérés en régie directe, les comptes dressant semaine après semaine les listes nominatives des personnes rémunérées pour extraire de la pierre, terrasser ou maçonner. En tout, ce sont près de 300 noms qui sont mentionnés (fournisseurs de matériaux de construction d'outillage, terrassiers, carriers, maçons...) ; on peut estimer qu'une cinquantaine de personnes salariées œuvrent quotidiennement au chantier. À ces effectifs s'ajoutent un nombre important de personnes astreintes à venir travailler aux fossés dans le cadre des corvées. En février1478, Louis XI nomme des commissaires chargés de recruter « sur les habitans à sept lieues à la ronde de la ville d'Angiers le nombre de cent hommes par chacun jour à besoigner es fossez de la ville d'Angiers ». Les hommes doivent être à pied d'oeuvre avec leurs outils avant 6 heures du matin. Des entraves sont d'ailleurs prévus pour les ouvriers corvéables qui voudraient se soustraire à leurs obligations. Une dernière catégorie de travailleurs doit être mentionnée ; il s'agit de personnes, des vagabonds, qualifiés de « jeunes homes oyseux », condamnées par la ville, sur décision judiciaire, à travailler aux fossés. En 1478, leur effectif montent jusqu'à 24 personnes.
Des travaux sont également réalisés pour renforcer le contrôle de la Maine. Dans une mise au point récente, F. Comte estime que les tours détachées de l'enceinte furent édifiées dès le XIIIe siècle de part et d'autre de la rivière, en amont et en aval de la ville. La chaîne fermant la Maine en aval de la ville est mentionnée pour la première fois en 1368. Un inventaire de 1417 mentionne la présence d'une bombarde et de boulets « en la tour de la chesne soubz le chasteau ». À la fin du XVIe et au XVIIe siècle, les différentes représentations de la tour de la Basse-Chaîne figurent un édifice retranché en demi-lune assez compact, d'une vingtaine de mètres de diamètre, flanqué sur la rivière d'une petite tour polygonale plus haute. La mise au jour temporaire des vestiges de cet ouvrage en 1962 a permis quelques observations complémentaires. Les proportions de l'édifice, l'épaisseur des murs — 4 m —, la présence de mâchicoulis, les canonnières à la française sur deux niveaux desservies par un espace central de plan rectangulaire sont autant d'éléments qui, conjugués entre eux, suggèrent une construction du dernier quart du XVe siècle.
Le château
Nous ne disposons pas d'informations sur des aménagements défensifs faits à la demande de René. Les archives ne livrent pas d'informations sur d'éventuelles dépenses liées à l'adaptation du château à l'artillerie à poudre durant son règne. Il est vrai que les dimensions imposantes des fortifications du XIIIe siècle, l'épaisseur et la solidité de ses maçonneries ont pu paraître constituer une carapace suffisamment solide. En revanche, la situation apparaît différente à la fin du XVe siècle, dans un contexte de tensions croissantes avec la Bretagne.
Dans les fossés du château paissent des cochons, des sangliers, des cerfs et des biches dont René demande l'évacuation en 1464 et 1470 vers la forêt de Bellepoule. La présence de ces animaux au pied des puissantes fortifications traduit bien l'accent mis par le duc d'Anjou pour le confort et l'agrément de ses résidences, fussent-elles dans des châteaux.
De façon assez classique, les archives mentionnent à plusieurs reprises le mauvais état dans lequel se trouvent les ouvrages de bois, comme en 1474, lorsque René est informé de « la grant ruyne en quoy sont les pons leveys et dormans du chastel d'Angiers, lesquelx il convient faire touz de neuf ».
Les choses changent avec la prise en main du duché par les hommes de Louis XI. C'est à eux qu'il faut probablement attribuer la transformation de nombreuses archères des tours du château en canonnières adaptées à l'emploi de pièces de calibre moyen. Le 28 octobre 1481, Louis XI ordonne que « la somme de deux cent livres soit prise chaque année sur les droits de ventes et rachats perçus en Anjou pour êtremployée aux réparations du château d'Angers ». En janvier 1489, les comptabilités municipales mentionnent un certain Regnault de Mincourst, « canonnier ordinaire du Roi ». Sa présence doit sans doute être rapprochée avec la bande d'artillerie dite « des lisières de Bretagne » dont on sait qu'elle fut constituée avec des pièces d'artillerie provenant du château d'Angers. Plusieurs sources des années 1487-90 montrent que des armes, et notamment de pièces de gros calibre, arrivent et repartent d'Angers. Ainsi, en 1490, le château d'Angers reçut en dépôt trois gros canons serpentins pesant environ 7 000 livres et munis de six grosses roues. C'est probablement dans ce contexte que sont renforcées les défenses avancées du château.
L'annotation faite par Jean Bourré, alors capitaine du château, au revers d'une lettre de Charles VIII datée du 26 septembre 1489 ou 1490 révèle la volonté royale de protéger un des entrée de la place forte : « Et sa créance a esté du boulevert que le roy veult estre fait entre la ville et le chasteau d'Angiers ». S'il s'agit de la porte de Ville, tournée vers la cité, ce boulevard a probablement pris la forme du simple redan que l'on voit représenté sur un dessin réalisé vers 1589.
Le boulevard situé en avant de la porte des Champs, attesté par la documentation en 1452, ne peut correspondre à l'ouvrage, qualifié de ravelin à la fin du XVIe siècle, qui fut détruit en 1831 et dont les caractéristiques architecturales orientent vers une datation manifestement postérieure au milieu du XVe siècle. Ce ravelin présentait un plan en éperon, flanqué de deux tours de plan circulaire ou légèrement en pointe, abritant des pièces carrées ; un mur bouclier rejoignant la porte des Champs fermait le fossé afin de se prémunir d'un tir d'enfilade à revers. Le double pont-levis à flèche, piéton et charretier, perpendiculaire au corps de place, était défilé par le saillant de la tour ouest du ravelin. Les canonnières à la française se répartissaient en deux étages de tir, surmontés par un chemin de ronde sur mâchicoulis. L'entrée coudée donnait accès au pont couvert qui enjambait le fossé au devant de la porte des Champs. Au niveau inférieur, des passages ménagés dans les piles permettaient de rejoindre une poterne ouverte sous le pont-levis de la porte des Champs, offrant une solution de repli en cas de prise du ravelin. L'ensemble de ces dispositions orientent sa datation vers le dernier quart du XVe siècle, à la fin du règne de Louis XI ou sous Charles VIII.
On le voit, au-delà des seules indications livrées par les comptes de la Cloison d'Angers, d'autres sources apportent un éclairage particulier sur les aménagements défensifs de la ville et du château d'Angers dans les décennies 1470-1490, à une époque où des efforts financiers importants sont également consentis à Saumur pour mettre la population en sécurité, ce dont témoigne aujourd'hui encore le bel exemple de la tour du Bourg.
Emmanuel Litoux
LECOY DE LA MARCHE Albert Éd., Extraits des comptes et mémoriaux du roi René pour servir à l'histoire des arts au XVe siècle, Paris, 1873, XVI-365 p. (Documents historiques publiés par la Société de l'Ecole des chartes).
MALLET Jacques, « Les enceintes médiévales d'Angers », dans Annales de Bretagne, t. LXXII (1965), p. 237-262.
MALLET Jacques, Angers, le château, Maine-et-Loire, Nantes, Inventaire général, 1991, 48 p. (Images du Patrimoine).
MESQUI Jean, BRODEUR Jean, CHEVET Pierre et al., Le château d'Angers, Paris, Monum, Éditions du Patrimoine, 2001, 56 p. (Itinéraires).
ROUSSEAU Aurélien, « La cloison d'Angers à la fin du Moyen Âge », dans Archives d'Anjou, n° 7 (2003), p. 45-57.
Historique
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